Jean-Yves Bériou / L'emportement des choses
Jean-Yves Bériou |
Versión francesa de los poemas de El arrebato de las cosas de Jean-Yves Bériou (Paralelo Sur, 2015) de próxima publicación, más el poema inédito «La voz del miedo. La voz de las estrellas perdidas.»
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À Antonio G.
L’empire de la superstition
Dans une métropole usée, brûle l’émeute luxueuse : des émeutiers prennent
le temps de regarder au loin passer des oies sauvages.
Dans les déserts de pierre ponce, un grand oiseau aveuglé quelquefois vient
souffler sur les braises des foyers et ravive les bûchers de la fatigue.
L’empire de la superstition, les signaux de la mémoire, là entre les
nuages, sur la face des amants, dans un jeu de cartes truqué.
«Le monde est un autre», L’Escampette, 2013.
Bientôt, encore, les disparitions
À Antonio G.
L’enfance, des siècles à attendre. Il riait, son crâne déposé sur la
table du jardin. Bientôt les hauts vols d’oies sauvages.
La tête : une tour en flammes qui tourne dans le cœur. Organes,
organes de nouveau. Et la neige carbonique d’un ciel, de deux ciels, de trois
mers.
Brûlent le ciel et les saisons que l’on invente. Musique des sphères,
vieille musique des artères. Mais la paresse des assassins, l’armée des astres
qu’on ne voit plus, la jeunesse impérative. Elle, ses lèvres blanches, cités de
verre, palais de braises.
Reviens à la fenêtre ouverte sur la rage : les plumes arrachées, le
sang des choses, les cristaux obstinés. Et la douceur des revenants.
Oui, sur une terrasse à l’heure du repas du soir, la douceur des
revenants ; on se rapproche de l’oubli et de ses haies de fleurs, on serre
une boule métallique de ciel dans la main gauche, pendant que la droite
illustre la théorie des deux malédictions.
Abandonner tes corneilles, tes juments, tes étoiles. Les laisser dans
l’entrée, dans l’infini des adieux. Te défaire des os qui craquent, de
l’impossibilité.
Descendre au plus profond du ciel. S’effondre ce qui n’existe pas. Mais
les rondes des enfants, le serpent des banlieues, celui qui a tous les prénoms.
Non, pas les souvenirs.
Arme-toi d’impatience, retourne à la fontaine des bêtes perdues. Mais
pas les souvenirs, plutôt la main froide. Égarée et retrouvée, la main aux
veines mercurielles.
Les cloches de l’effroi battent, en silence, dans les maisons désertées
des lézards. Tu t’étends entre les bêtes lasses, parmi les chiens du sel. Les
chiennes de l’ennui.
Elle respire, la machine morte, dans les vitrines ouraniennes. Elle se
dresse, la tête coupée de l’amour, au-dessus des immeubles des grands
boulevards, à l’heure du hibou. Et de son ombre de hibou.
À l’heure des nombres menaçants et des paupières bleues.
Passé le premier pont des hérons cendrés, on repousse les spectres, on
les embrasse.
Se réveiller la nuit pour entrouvrir la porte du cervelet. Vouloir
sentir le vent du large, les planètes là-bas, les brasiers musicaux.
Des nœuds d’ombres que l’on défait dans le noir : combien parfaite
est la lumière.
Cette lumière aux lèvres en sang, est-ce vertige ? Ce phoque qui sommeille
sur la pierre plate du cœur, est-ce lumière ? Cette voile noire dans la
baie des cormorans, est-ce demain ?
Demain, la musique, la mouette parfaite, le silence du cri. L’océan, le
crêpe de l’égarement, ses tambours voilés, ses étendards dévorés, les petites
peurs du crabe dans le peu d’eau d’une flaque. L’océan, et rien.
L’enfance, des siècles pour la peau. Il chante à tue-tête, accoudé à
l’éternité, son crâne dévissé par le vent des hautes mers. Boit aux comptoirs
de l’innocence et de la cruauté.
Bientôt, encore, les disparitions.
«Le monde est un autre», L’Escampette, 2013.
Ni dieu, ni maître
À
Anne-Marie B. et Pierre P.
Il ne se cherche pas
il marche dans une rue blanche d’oiseaux
Il ne sert aucun seigneur, pas même celui des auberges
le grand nerf à vif qui rôde sur les chemins de l’enfance
qui bat la campagne vers midi
Sa colonne vertébrale, une bannière qui ne flotte
qu’au vent des éclairs
Un grand vent, il ne cherche rien d’autre
une horde de veines dures, une main
nouée sur l’ombre de ses pas
Il ne se cherchera jamais
Il reprend sa route, et c’est encore midi
La campagne noircit, il contemple la plaine,
ses siècles, ses feux abandonnés, la cruauté,
la mer derrière la mer, le voilier rongé
de nuages, le groin du ciel
sur la plus haute pierre, les griffes
du ciel sur l’adieu, sur la buvette
et l’ombre du buveur
Dans les ravins du ciel le plus ample, le plus âcre,
midi ne sonnerait plus, ça serait cet adieu :
l’acide tête d’un oiseau, ses petits os :
l’horloge de la mort
Il ne sert aucun seigneur, encore moins lui-même
il reprendra sa route, et c’est toujours midi
il reprendra sa route, et la nuit tombe.
«L’emportement des choses», L’Escampette, 2010.
La théorie de l’amour
Sur la mousse le ruisseau
les armes noires
ébréchées
Sans crier, plante tes douces dents
dans le ventre de l’ombre
tu rencontreras les os la lymphe
des oiseaux
si tu savais creuser le monde
jusqu’à plus soif
brûler les pailles lumineuses
de l’oubli
Descends, descends là-bas
où le fleuve aux miroirs s’enchaîne
écrase entre tes doigts l’herbe des sépultures
et tu célébreras l’écueil attentif
les Sargasses du cœur
l’infime navigation
La théorie de l’amour : la rage du ciel
sous la jupe de l’amante.
«L’emportement des choses», 2010.
Chanson du pain sec
à
Louis-François D.
La nuit des princes sans princesses
la nuit des vieux renards pendus
la nuit rouillée des armes ébréchées
la nuit des chambres condamnées
le chanteur à la voix de poussière
La rousse ses bijoux de squelette
la brune qui dort dans le désert
la laine noire de ses baisers
mais le jour des liquides tombeaux
la poudre des miroirs le crâne
de cette blonde elle meurt chaque jour
La clé de la clinique là-haut
où crie le corbeau de l’ironie
ses amours de guérets son cœur
de paille bleue sa tête d’insecte
Mais la lumière dans la lumière
mais la lumière sous la porte
et la mort dans la cuisine
La nuit des princesses allées
la nuit des armoires vides
la nuit des siècles sur l’épaule
la nuit le jour du petit singe
le pain sec de l’aube dans le lit.
«L’emportement des choses», L’Escampette, 2010.
La voix de la peur
La voix des astres perdus
I
Les dents du
monde
mâchent
l’amour
de midi de
minuit
le jus coule
rouille
fleur d’abîme
Ne réveille
pas l’oiseau noir
qui sanglote
dans l’armoire
ses coups de
bec sa plaie salée
l’ombre des
lunes de mercure
À l’horizon
le nuage de poussière
c’est le
crabe et ses acolytes
leur rose
leur ciel leur blessure
le chant des
ossements l’eau vive
le chant des
mariniers
l’écluse du
ciel
Tout est noir
même la poule
rousse
de l’ennui.
Elle becquète
la tête
là-haut celle de l’agonie
le retour des
rosiers ceux de la lune
les cuisses
bleues du noir
qui tombe sur
le noir
Tout est
noir :
les chambres
sans fenêtres
ouvertes sur
l’amour le soir
des prairies
le soir de rien
le blé noir
des miroirs
le givre qui
somnole
dans les yeux
du renard
Tout est noir
même le noir
d’un printemps
impitoyable
l’ombre des survivants
II
Les dents du
monde
broient
l’amour
de midi de
minuit
le temps est
son miroir
Ne réveille
pas l’oiseau oxydé
il somnole
dans l’armoire
il se
réveille il insulte
l’ombre
osseuse de l’oiselle
L’enfant rôde
il rêve
entre les
ronces du ciel :
qui meurt aujourd’hui
meurt mille fois
au loin une
voix
comme un
astre perdu
la voix de la
peur
elle ébranle
la forteresse
concise voix
des insomniaques
l’ombre
disperse ses bannières
nos jardins
gravitent
sous la lune
Crabe qui
rêvasse dans le sable
amants perdus
à la cave
c’est le
monde qui souffle
La fenêtre
est fermée
le voyageur
s’arrête
la mouette de
l’amour s’est vidée
de son sang
la mouette s’envole
elle ne pense
à rien elle dit
qu’elle ne
pense à rien.
(printemps
2014)
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JEAN-YVES BÉRIOU (1948) reside en Barcelona desde 1987.
En colaboración con Martine Joulia, ha traducido al francés a Antonio Gamoneda (Libro del frio, Antoine Soriano éditeur, y Libro de los venenos, Actes Sud), a Ildefonso Rodríguez (Mis animales obligatorios, Antoine Soriano éditeur), a Miguel Suárez (Voz del cuidado, Antoine Soriano éditeur) y a Olvido García Valdés (selección de poemas, Cadastre8Zéro). En breve, se publicará su traducción al francés de Filiación oscura del poeta venezolano Juan Sánchez Peláez.
Con Derry O’Sullivan, han traducido también el Lamento de la vieja mujer de Beare, largo poema anónimo en irlandés de los siglos VIII o IX (tercera edición en L’Escampette, 2006). Han publicado igualmente textos de sean-nós (traducidos al inglés, al castellano y al francés), el cante jondo a cappella del oeste irlandés (Dord an Ducháis/12 canciones tradicionales del Connemara, Coiscéim, Dublin, 2009). Actualmente trabajan en una antología de poesía de lengua irlandesa medieval.
Ha publicado tres libros de poesía: Le château périlleux (l’Escampette, 2003), L’Emportement des choses (L’Escampette, 2009) [El arrebato de las cosas, Paralelo Sur, 2015] y Le monde est un autre (L’Escampette, 2013). Algunos de sus poemas y textos diversos, traducidos al castellano, han sido publicados en las revistas El Signo del Gorrión, Zurgaí, Solaria, Falar/hablar de poesía, Millenrama, Revistatlántica, Animal sospechoso, Paralelo Sur, El vaso roto y Caravansari y las revistas en línea 7de7, Fronterad y TamtamPress.
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